Le mandat fictif dans la gestion de fait
Les comptables publics sont responsables des contrôles à assurer en matière de recettes, de dépenses et de patrimoine (article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963).
Leur responsabilité est engagée si un déficit, un manquant en monnaie ou valeurs est constaté, une recette n'a pas été recouvrée, une dépense irrégulièrement payée ou que, du fait du comptable, l'organisme public a dû indemniser un autre organisme public, un tiers, ou a dû rétribuer un commis d'office pour produire les comptes. Aussi, avant d'être installés dans leur poste, ils doivent constituer des garanties.
Attention : cette responsabilité cède si les opérations sont effectuées sur réquisition régulière de l’ordonnateur.
Si le manquement du comptable à ses obligations n'a pas causé de préjudice financier à l'organisme public, le juge des comptes peut l'obliger à s'acquitter d'une somme pour chaque exercice, tenant compte des circonstances de l'affaire, dans la limite de 1,5 millième du montant du cautionnement prévu pour le poste comptable (décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012), soit, pour un cautionnement moyen entre 15 000 et 900 000 €, une somme de 22,50 euros à 1 350 € et une médiane de 150 €.
En cas de préjudice financier, le comptable verse immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante. En l’absence de versement, il peut être constitué en débet par l'émission à son encontre d'un titre exécutoire, portant intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de sa responsabilité.
L’ingérence dans les dépenses ou les recettes
Est gestionnaire de fait, toute personne qui, sans avoir la qualité de comptable public ou agir sous son contrôle et son compte, s'ingère dans le recouvrement de recettes affectées ou destinées à un organisme public. Nonobstant les poursuites pénales, il doit rendre compte au juge financier de l'emploi des fonds ou valeurs irrégulièrement détenus ou maniés et supporte les mêmes juridictions, obligations et responsabilités que les gestions régulières, et notamment le débet sur ses deniers personnels.
Le cas le plus simple, où des fonds publics ne passent pas entre les mains du comptable alors qu’ils le devraient, intéresse la personne qui reçoit directement de l’argent destiné à la collectivité (recettes fiscales, redevances dans le cadre d’une activité de service public ou dons) ou paye directement certaines dépenses, voire détourne de l’argent de la caisse du comptable.
A également cette qualité, la personne qui reçoit ou manie (in)directement des fonds ou valeurs extraits irrégulièrement de la caisse d'un organisme public ou effectue des opérations sur des fonds ou valeurs que seuls les comptables publics peuvent exécuter. Dans cette seconde hypothèse, qualifiée d’extraction irrégulière de fonds ou de valeurs d’une caisse publique, le comptable réalise son contrôle et l’opération a une apparence de régularité budgétaire. L’irrégularité vient généralement de l’ordonnateur, qui lui a donné de fausses informations.
Le mandat de versement est ainsi « fictif », le comptable n’ayant pas été informé de la réalité de l’opération ni pu exercer son contrôle (imputation budgétaire et pièces justificatives notamment). La responsabilité de tous ceux qui ont participé (in)directement à la dissimulation est engagée (CE n° 385903 M. L du 28 septembre 2016 pour un groupement de coopération sanitaire).
La dissimulation peut porter sur la date de l’opération lorsqu’elle a une incidence, comme l’année des crédits à consommer, ou sur le véritable bénéficiaire de la dépense ; il en va ainsi du maire qui signe un mandat de paiement d’une prime à verser à son adjoint dont il est préalablement convenu avec lui qu’il la lui reversera (CE n° 241260 Mme W du 30 juillet 2003 pour l’attribution fictive d’une partie de l’indemnité de maire à un adjoint après un arrêté de délégation de fonctions).
Les dépenses à objet fictif ou frauduleux
Le mandat fictif peut enfin résulter de ce que l’objet même de la dépense revêt un caractère fictif ou frauduleux. Ont ainsi été visées les factures d’entretien et de carburant du véhicule communal à la disposition du directeur général alors qu’il s’agit de sa voiture personnelle (CE n° 69399 Sieur Z du 12 décembre 1969), le paiement d’un marché ne correspondant à aucune prestation réelle (CE n° 250649 M. X du 30 juillet 2003 pour un logiciel entrant dans les compétences d’un salarié), ou le paiement du traitement d’un collaborateur de cabinet dont le véritable emploi, et donc le service fait, concerne une commune auprès de laquelle il est mis à disposition (CE n° 336652 M. A du 25 juin 2012, l’agent ayant dissimulé la réalité des fonctions qu’il exerçait).
S’y ajoute l’association que la structure publique subventionne pour qu’elle développe une activité, mais qu’elle pilote entièrement en réalité. Il ne s’agit alors plus de subventions réelles, mais simplement d’un moyen pour la structure publique de se libérer des règles budgétaires et comptables qu’elle devrait respecter (CC Médecin du 26 mai 1992, affaire de l’association Nice–communication).
Dans tous les cas, le mandat fictif, souvent illégal, suppose un élément de mensonge ou l’omission d’une information que le comptable aurait dû avoir.
Un logement loué à son bénéficiaire
Dans une affaire, la Cour des Comptes déclare comptable de fait un couple et une société civile immobilière (SCI) à qui la commune a loué le logement concédé au DGS.
En effet, la loi permet aux assemblées locales d’accorder par nécessité absolue de service un logement de fonction, notamment au DGS d’une commune de plus de 5 000 habitants (article 21 de la loi n° 90-1067 du 28 novembre 1990).
Dans ce cadre, une délibération du conseil municipal du 28 septembre 2000 inscrit cette fonction sur la liste des emplois pour lequel un logement peut être attribué par nécessité absolue. La commune n’en disposant pas, le maire accepte qu’avec son épouse, le DGS achète un logement par l’intermédiaire d’une SCI, qui le loue à la commune pour 950 € mensuels par un bail du 6 août 2002, local que le maire concède comme logement de fonction au DGS…, l’un des 2 propriétaires, le 30 août. Au vu du montage, la Cour des Comptes déclare le 24 avril 2014 comptables de fait la SCI et les époux au titre des loyers versés.
S’agissant d’une gestion de fait, le rapporteur public et le Conseil d’État en cassation écartent les aspects de légalité du montage. Néanmoins, la Cour des comptes a déjà considéré qu’aucune disposition de texte n’interdisait expressément la concession de logement à un agent qui en est le propriétaire bailleur, sous réserve de la légalité de la décision et d’une éventuelle prise illégale d’intérêts (article L. 432-12 du code pénal).
Il se peut en effet que l’employeur ne soit pas propriétaire du logement de fonctions et le loue. Le bail est alors fortement lié à la personne de l’occupant et, s’il change d’emploi ou perd son droit au logement, le bail pourra être dénoncé. L’occupant peut donc être tenté de proposer à la commune d’acheter le logement, pour réaliser un investissement et le récupérer au jour de la dénonciation du bail.
La Cour de cassation a déjà retenu une prise illégale d’intérêts pour le directeur départemental d’un service d’incendie et de secours (SDIS), délégataire de signature du président de la commission administrative, qui signe comme ordonnateur et occupant d’un logement de fonction, les mandats de paiement de 22 loyers à une SCI constituée à 98 % par son épouse et sa fille et 2 % par son beau-frère, par ailleurs gérant (C. Cass. crim. pourvoi n° 02-83092 M. X du 7 novembre 2002).
Le rapporteur public, qui rappelle que les communes ne sont pas astreintes à des procédures de mise en concurrence lorsqu’elles souhaitent louer un bien, admet un possible conflit d’intérêts constitutif d’un détournement de pouvoir, sans trancher la question. En effet, la question posée au Conseil d’État est seulement de savoir si les ordres donnés au comptable de payer le loyer à la SCI constituent des mandats fictifs.
Précarité du logement et précarité de l’occupation
La Cour des Comptes considère que le logement concédé n’était que fictivement un logement de fonction, le bénéficiaire pouvant se loger par ses propres moyens. Pour le rapporteur et le Conseil d’État, la concession est justifiée par les seules contraintes liées à l’exercice des fonctions et non en raison des caractéristiques propres à l’agent, et notamment à son patrimoine immobilier. La circonstance qu’il puisse se loger par ses propres moyens ne fait pas obstacle à la concession du logement.
La cour estime aussi que l’occupation du logement n’était nullement précaire. En effet, le bail permettait à la SCI de le résilier pour reprise au bénéfice de l’un de ses membres ou de le vendre avec un préavis de 6 mois (article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 sur les rapports locatifs,). L’arrêté de concession prévoyait par ailleurs que le DGS perdait le logement à la fin de la date d’exercice de ses fonctions, mais bénéficierait d’un préavis de 6 mois pour quitter les lieux.
La jurisprudence estime que si l’employeur permet temporairement à un agent de se maintenir dans un logement après la cessation de ses fonctions ou sa retraite, il doit payer un loyer, et ce contrat de bail relève des juridictions judiciaires (CE n° 65695 Mme Y du 20 novembre 1989). Dans l’affaire, la conjonction des 2 délais garantissait au DGS de continuer à bénéficier du logement. Faute de précarité, la Cour des Comptes a considéré que la concession avait nécessairement pour objet d’attribuer au directeur général un avantage pécuniaire. Mais le Conseil d’État rappelle que l’avantage ne consiste pas dans l’occupation du logement de fonction, mais dans son attribution gratuite, laquelle est subordonnée à l’exercice des fonctions de directeur général et revêt bien un caractère provisoire. La circonstance qu’il puisse se maintenir dans les lieux en qualité de propriétaire, dès lors que l’arrêté d’attribution du 30 août 2002 prévoyait un préavis de 6 mois pour le quitter, identique à celui figurant dans le bail si la SCI souhaitait reprendre le logement, ne rend pas fictive la décision d’attribution. Cette distinction entre précarité du logement de fonction et précarité de l’occupation du local est évidente si la commune est propriétaire du logement, puisqu’il y a toujours précarité de l’occupation. Sans trancher la question, le rapporteur estime que lorsque la commune le loue, la précarité de l’occupation du local n’apparaît pas nécessairement une condition de légalité de la concession de logement.
L’absence de transparence de la SCI
Enfin pour la cour, la SCI bénéficiaire des loyers était en réalité transparente, le directeur général en étant le gérant et l’un des associés, de sorte que les sommes lui étaient directement versées et constituaient un complément de traitement à la hauteur des loyers. Ce faisant, la cour sanctionne une absence d’autonomie, non à l’égard de la personne publique, mais entre la société et ses associés.
Mais la SCI n’est pas pilotée directement par la commune et la circonstance que le directeur général soit le gérant de la société et l’un de ses associés ne permet pas de regarder les sommes comme lui étant directement versées. Comme l’indique le rapporteur public, l’argent était bien versé à la SCI et rien ne dit si l’usage qui en a été fait bénéficiait aux 2 associés et pas seulement au directeur. Au demeurant, le propre d’une SCI et de reverser de l’argent à ses associés. Le juge relève que la commune louait effectivement le logement à la SCI et que l’avantage constitué par le logement était subordonné à l’exercice des fonctions de DGS par l’intéressé, qui bénéficiait d’un avantage consistant à ne pas louer son logement, les 950 € versés à la SCI correspondant à une réelle contrepartie, la mise à disposition du logement.
Au demeurant, si l’intéressé avait été logé ailleurs par la commune, il aurait pu, avec son épouse, louer ce logement à un tiers et toucher la même somme.
Il n’y aurait eu de rémunération déguisée que si le loyer versé à la SCI avait été manifestement aberrant, additionnant le loyer et une somme complémentaire déguisée destinée au directeur général. Au contraire, la commune indique que le loyer était inférieur au prix du marché.
Pour le juge, les mandats adressés au comptable n’étaient pas fictifs et la Cour des Comptes a entaché son arrêt d’une erreur de droit.
CE n° 410817 M. C du 9 juillet 2018 et concl.
Pierre-Yves Blanchard le 07 mai 2019 - n°1628 de La Lettre de l'Employeur Territorial
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