Sanction : l’employeur doit tenir compte de la fragilité psychologique de l’agent
Dans une affaire, le président de l’office public de l’habitat révoque un adjoint technique de 2e classe peintre en bâtiment le 25 avril 2016. En effet, il a d’abord refusé de présenter son permis de conduire alors que, destinataire d’une contravention à raison d’un véhicule de service conduit par l’intéressé, l’employeur devait transmettre les références du permis pour identification du contrevenant. Ensuite, en dépit de l’obligation qui pèse sur lui, il refuse une formation de professionnalisation en cours de carrière qui répond aux besoins qu’il a lui-même exprimés au médecin du travail en octobre 2014. Enfin, ses 2 supérieurs relatent de façon très circonstanciée les faits d’agressions verbales dont ils ont été victimes la veille de la part du fonctionnaire, incluant des menaces de mort et la menace physique de l’un d’eux. En l’absence de toute provocation et compte tenu de la concordance des témoignages, le juge estime établis ces faits de violence.
Cependant, si son attitude est fautive et justifie une sanction, la compagne de l’intéressé, atteinte d’un cancer des os diagnostiqué au début 2014 a dû interrompre sa grossesse en juillet avant de décéder en janvier 2015. L’intéressé sera placé en congé de maladie pour dépression de juin 2014 au 1er octobre, puis de janvier au 31 mars 2015. L’employeur fait valoir qu’au moment des faits il avait repris ses fonctions depuis plusieurs mois et ne faisait plus l’objet de traitements. Mais les témoignages de supérieurs reconnaissent un grand désarroi personnel et un état de grande fragilité psychologique justifiant son suivi par un psychiatre.
Attention : pour la cour, la fragilité psychologique de l’agent est au nombre des éléments que l’employeur doit prendre en compte pour apprécier la gravité des faits retenus contre l’agent et déterminer le quantum de la sanction. En outre, les faits reprochés se sont produits au cours d’une seule journée, le 3 novembre 2015, et n’ont pas reçu de publicité de nature à porter atteinte à la réputation du service, quand bien même ils se seraient produits dans la rue. Même si l’agent a fait l’objet d’une exclusion temporaire de 3 jours en juillet 2014 pour refus d’obéissance et absence injustifiée, la révocation apparaît disproportionnée aux manquements.
CAA Nancy n° 17NC00878 M. A du 6 février 2018.
Pierre-Yves Blanchard le 02 avril 2019 - n°1623 de La Lettre de l'Employeur Territorial
N° 17NC00878-17NC01145
3ème chambre - formation à 3
M. MARINO, président
M. Jean-Marc GUERIN-LEBACQ, rapporteur
M. COLLIER, rapporteur public
LEONEM AVOCATS, avocat
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... A...C...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 19 avril 2016 par lequel le directeur de l'Office public de l'habitat de l'Eurométropole de Strasbourg CUS Habitat a prononcé sa révocation avec effet au 25 avril 2016.
Par un jugement n° 1603594 du 2 mars 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cet arrêté.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée le 12 avril 2017 sous le n° 17NC00878, l'Office public de l'habitat de l'Eurométropole de Strasbourg CUS Habitat, représenté par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 2 mars 2017 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A...C...devant le tribunal administratif de Strasbourg ;
3°) de mettre à la charge de M. A...C...le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
L'Office public de l'habitat de l'Eurométropole de Strasbourg CUS Habitat soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de fait et d'une erreur de droit ;
- M. A...C...ne saurait utilement se prévaloir de ce que la décision du 6 novembre 2015 prononçant sa suspension à titre conservatoire serait irrégulière ;
- l'arrêté contesté a été pris par une autorité compétente ;
- les faits reprochés à l'intimé sont établis et, eu égard à leur gravité, à l'absence de prise de conscience de cette gravité, à l'atteinte portée à la réputation du service et au comportement antérieur de l'intéressé, justifient la sanction de révocation ;
- les convictions religieuses prêtées à M. A...C...sont insusceptibles d'influer sur la proportion de la sanction ;
- la sanction contestée n'est entachée d'aucun détournement de procédure ou de pouvoir.
Par un mémoire en défense enregistré le 31 juillet 2017, M. E... A...C..., représenté par MeD..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge du requérant en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté contesté manque en fait et n'appelle plus aucune observation en appel ;
- le moyen tiré de l'irrégularité de la décision du 6 novembre 2015 prononçant sa suspension à titre conservatoire est inopérant et n'appelle plus aucune observation en appel ;
- les faits reprochés ne sont que partiellement établis ;
- la gravité de ces faits est atténuée par le contexte dans lequel ils se sont déroulés, sa situation de fragilité psychologique, ses états de service antérieurs, la circonstance que les faits survenus en mars et mai 2014 ont été sanctionnés alors qu'il venait d'apprendre la maladie de sa compagne, les conditions dans lesquelles le conseil de discipline s'est prononcé, ainsi que par l'absence d'atteinte à l'image du service et de tout risque de récidive ;
- l'arrêté contesté est entaché d'un détournement de procédure.
L'instruction a été close à la date du 25 octobre 2017, à 16 heures, par une ordonnance du 3 octobre 2017.
II. Par une requête enregistrée le 18 mai 2017 sous le n° 17NC01145, l'Office public de l'habitat de l'Eurométropole de Strasbourg CUS Habitat, représenté par MeB..., demande à la cour :
1°) d'ordonner le sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 2 mars 2017 ;
2°) de mettre à la charge de M. A...C...le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
L'Office public de l'habitat de l'Eurométropole de Strasbourg CUS Habitat soutient que les moyens invoqués dans la requête susvisée enregistrée sous le n° 17NC00878 sont sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet de la demande présentée par M. A... C... devant le tribunal administratif.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 août 2017, M. E... A...C..., représenté par MeD..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge du requérant en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens de la requête ne présentent pas de caractère sérieux et ne sont pas de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- l'ordonnance n° 2007-137 du 1er février 2007 ;
- le décret n° 2006-1691 du 22 décembre 2006 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq,
- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., pour CUS Habitat, et de MeD..., pour M. A... C....
1. Considérant que M. A...C..., recruté en qualité de contractuel le 19 novembre 2001 par l'Office public de l'habitat de l'Eurométropole de Strasbourg CUS Habitat, ci-après dénommé " CUS Habitat ", a été titularisé le 6 octobre 2004 dans le grade d'agent d'entretien puis reclassé dans celui d'adjoint technique de 2ème classe, en vue d'exercer les fonctions de peintre en bâtiment ; que, par un arrêté du 19 avril 2016, le directeur de CUS Habitat a prononcé la révocation de M. A... C..., avec effet au 25 avril 2016 ; que, par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre pour statuer par un seul arrêt, CUS Habitat fait appel du jugement du 2 mars 2017 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cet arrêté et demande qu'il soit sursis à l'exécution dudit jugement dans l'attente que la cour se prononce sur la requête d'appel ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant que dans l'hypothèse où les premiers juges auraient commis, comme le soutient CUS Habitat, une erreur de droit ou une erreur de fait susceptibles de remettre en cause, dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, les motifs qu'ils ont retenus pour annuler l'arrêté du 19 avril 2016, les erreurs alléguées qui se rapportent au bien-fondé du jugement attaqué resteraient, en tout état de cause, sans incidence sur la régularité de ce jugement ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 89 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes : Premier groupe : l'avertissement ; le blâme ; l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours ; Deuxième groupe : l'abaissement d'échelon ; l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quatre à quinze jours ; Troisième groupe : la rétrogradation ; l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans ; Quatrième groupe : la mise à la retraite d'office ; la révocation (...) " ; qu'il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes ;
4. Considérant que M. A...C...a été révoqué de la fonction publique pour avoir, le 3 novembre 2015, refusé de présenter son permis de conduire à ses supérieurs hiérarchiques, refusé de suivre une formation de professionnalisation en peinture et agressé ses deux supérieurs hiérarchiques à l'issue d'une réunion avec la responsable du service de formation ;
5. Considérant, d'une part, que l'intéressé ne conteste pas qu'il a refusé de présenter son permis de conduire à l'administration alors que celle-ci, destinataire d'une contravention à raison d'un véhicule de service conduit par l'intéressé, devait transmettre les références de ce permis aux autorités compétentes afin de leur permettre d'identifier le contrevenant ;
6. Considérant, d'autre part, qu'en application de l'article 10-2 du décret susvisé du 22 décembre 2006 portant statut particulier du cadre d'emplois des adjoints techniques territoriaux, ceux-ci sont soumis à une obligation de suivre une formation de professionnalisation tout au long de leur carrière ; que M. A...C...ne conteste pas avoir refusé de suivre la session de formation de peintre en bâtiment qui lui était proposée ; qu'il ne ressort pas des pièces des dossiers que cette formation n'aurait pas répondu au besoin de formation qu'il avait lui-même exprimé auprès du médecin du travail en octobre 2014 ;
7. Considérant, enfin, que, dans leurs témoignages établis le lendemain des faits reprochés, les deux supérieurs hiérarchiques de M. A...C...relatent de façon très circonstanciée les faits d'agression verbale dont ils ont été victimes de la part de l'agent, incluant des menaces de mort proférées à leur encontre ; que ces documents font également état de ce que M. A... C... a physiquement menacé l'un des deux supérieurs hiérarchiques ; qu'il n'est pas établi que l'intéressé aurait répondu à une provocation de l'un de ses supérieurs, circonstance dont il n'a d'ailleurs pas fait état dans le courrier présenté pour sa défense le 8 février 2016 dans le cadre de la procédure disciplinaire ; qu'eu égard au caractère précis et concordant des témoignages des deux supérieurs, lesquels ont porté plainte le 30 novembre 2015 devant le tribunal de grande instance de Strasbourg, les faits précités de violence verbale et de menaces physiques doivent être regardés comme établis ;
8. Considérant que les faits exposés aux points 5 à 7 présentent un caractère fautif et justifient une sanction ;
9. Considérant, toutefois, que la compagne de M. A... C..., atteinte d'un cancer des os diagnostiqué au début de l'année 2014, a dû interrompre sa grossesse au mois de juillet 2014 avant de décéder le 7 janvier 2015 ; que l'intéressé a été placé en congé de maladie pour dépression du 30 juin 2014 au 1er octobre 2014 puis du 5 janvier 2015 au 31 mars 2015 ; que si CUS Habitat fait valoir qu'au moment des faits reprochés, M. A...C...avait repris ses fonctions depuis plusieurs mois et n'était plus soumis à un traitement médicamenteux, il ressort des pièces des dossiers, notamment des témoignages des deux supérieurs hiérarchiques qui font état de son " grand désarroi personnel ", que l'intimé présentait un état de grande fragilité psychologique, pour lequel il était suivi par un médecin psychiatre ; que contrairement à ce que soutient CUS Habitat, la fragilité psychologique de l'agent est au nombre des éléments qu'il appartient à l'administration de prendre en compte, le cas échéant, pour apprécier la gravité des griefs retenus à son encontre et déterminer le quantum de la sanction qui doit lui être infligée ; qu'en outre, les faits reprochés se sont produits au cours d'une seule journée, le 3 novembre 2015 ; qu'il ne ressort pas des pièces des dossiers que ces faits auraient reçu une publicité de nature à porter atteinte à la réputation du service, quand bien même les faits de violence se sont produits dans la rue ; que, dans les circonstances de l'espèce, alors même que M. A... C...a fait l'objet le 7 juillet 2014 d'une exclusion temporaire de fonctions d'une durée de trois jours, soit une sanction du 1er groupe, pour un refus d'obéissance et une absence injustifiée en mars et mai 2014, CUS Habitat a pris une sanction disproportionnée en prononçant sa révocation, soit une sanction du 4ème groupe ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que CUS Habitat n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du 19 avril 2016 ;
Sur les conclusions à fin de sursis :
11. Considérant que le présent arrêt statue sur les conclusions aux fins d'annulation du jugement attaqué ; que, dès lors, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution présentées par CUS Habitat ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A...C..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont CUS Habitat demande le versement au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu en revanche de mettre à la charge de CUS Habitat une somme de 1 500 euros à verser à M. A...C... sur le fondement des mêmes dispositions ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de CUS Habitat n° 17NC00878 est rejetée.
Article 2 : Il n'y a plus lieu de statuer sur la requête de CUS Habitat n° 17NC01145.
Article 3 : CUS Habitat versera la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros à M. A... C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office public de l'habitat de l'Eurométropole de Strasbourg CUS Habitat et à M. E... A...C....
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